BÖLËT MOUNA
« En finir avec la maladie du sommeil »
Une aiguille dans une botte de foin : L’élimination de la maladie du sommeil en Guinée, vue de l’intérieur

Juin 2024, Dubréka, Guinée. Un orage soudain s'abat sur les toits en tôle ondulée de l'hôpital, faisant apparaître des torrents d’eau qui filent vers le portail d'entrée de ce centre dédié à la maladie du sommeil. C'est la saison des pluies à Dubréka, une bourgade située juste au nord de la capitale, Conakry.
Alors qu’infirmiers et médecins se mettent à l’abri, une femme franchit le portail en courant. Elle saute au-dessus des énormes flaques, son dossier médical au-dessus de sa tête pour se protéger de la pluie, et se réfugie dans la salle où le personnel médical attend la fin de l'orage.
Fresque sur le mur du « Centre Trypano » de l’hôpital de Dubreka. Bölët Mouna signifie « en finir avec la maladie du sommeil » en susu, l'une des langues nationales de Guinée
Fresque sur le mur du « Centre Trypano » de l’hôpital de Dubreka. Bölët Mouna signifie « en finir avec la maladie du sommeil » en susu, l'une des langues nationales de Guinée
Elle s'appelle Macire Sylla. Elle souffre depuis plusieurs mois. Alors que la pluie martèle le toit en tôle dans un vacarme assourdissant, elle raconte son combat contre la maladie.
Macire vit à Tobolon, non loin de là. Il y a un an, une équipe de l'hôpital s’est rendue dans son village pour effectuer des tests de dépistage de la trypanosomiase humaine africaine, également connue sous le nom de maladie du sommeil. Cette maladie négligée cauchemardesque est transmise par les mouches tsé-tsé qui vivent dans les mangroves autour de Dubréka et sur la majeure partie de la côte guinéenne.
Tous les habitants du village avaient bénéficié d’un test de diagnostic rapide. Le test de Macire s’était révélé positif ; mais le test de confirmation étant lui négatif, aucun traitement ne lui avait été donné ce jour-là.
Au cours de l'année qui a suivi, l’état de santé de Macire s’est dégradé : douleurs, courbatures, faiblesse et fatigue extrême. Elle a commencé se demander si elle n’était pas vraiment atteinte de la maladie du sommeil. Elle savait qu'en l'absence de traitement, la plupart des patients atteints de la maladie finissent par mourir.
Elle a donc décidé de se rendre au « Centre Trypano » de Dubréka.
Alors que l’orage s’éloigne, une prise de sang est effectuée dans le laboratoire du centre. En attendant les résultats, l’équipe médicale réalise un examen clinique simple qui permet de détecter les symptômes neurologiques caractéristiques de cette maladie parasitaire.
Au premier stade de la maladie, les symptômes peuvent ressembler à ceux du paludisme, tels que la fièvre et des douleurs. Ce n’est que lorsque le parasite parvient à envahir le système nerveux central que les symptômes neuropsychiatriques apparaissent : troubles du sommeil, confusion, léthargie, agressivité et convulsions.
L’examen neurologique est composé de tests très simples. L’équipe demande à Macire d’effectuer des gestes tels que tendre les bras devant elle à l’horizontale, paumes vers le haut ; ou maintenir un papier à plat sur le dessus des mains ; ou encore de toucher son nez. Les personnes atteintes de la maladie du sommeil sont souvent incapables d’effectuer ces gestes pourtant simples. Mais Maciré y arrive presque parfaitement. Peut-être n'est-elle pas atteinte de la maladie, après tout ?
Pendant ce temps, dans le laboratoire de l’hôpital, Oumou Camara, en charge des diagnostics au sein du Programme National de Lutte contre les Maladies Tropicales Négligées, observe tout autre chose à travers son microscope. Même si Macire avait été testée négative il y a un an, l'échantillon de son sang est aujourd'hui rempli de trypanosomes (de la forme dite trypanosoma brucei gambiense), le parasite responsable de la maladie du sommeil.
Oumou Camara, responsable des diagnostics, analyse l’échantillon de sang de Macire
Oumou Camara, responsable des diagnostics, analyse l’échantillon de sang de Macire
Macire vient d’être testée positive à la maladie.
Aux côtés d'Oumou, le Dr Bruno Bucheton, chercheur français de l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), exprime sa satisfaction. Pour ce chercheur qui travaille depuis 15 ans en Guinée sur la maladie du sommeil, ce diagnostic doit être vu comme une bonne nouvelle.
Macire, coiffée d’un foulard orange, est examinée pour détecter les signes cliniques de la maladie du sommeil
Macire, coiffée d’un foulard orange, est examinée pour détecter les signes cliniques de la maladie du sommeil
Macire, coiffée d’un foulard orange, est examinée pour détecter les signes cliniques de la maladie du sommeil
Macire, coiffée d’un foulard orange, est examinée pour détecter les signes cliniques de la maladie du sommeil
Macire, coiffée d’un foulard orange, est examinée pour détecter les signes cliniques de la maladie du sommeil
Macire, coiffée d’un foulard orange, est examinée pour détecter les signes cliniques de la maladie du sommeil
« Si cette dame n'était pas revenue ici, elle n'aurait peut-être pas été diagnostiquée », explique-t-il. « La maladie aurait alors évolué vers un stade plus avancé et, si cette personne avait été piquée par une mouche tsé-tsé, elle aurait pu transmettre la maladie à quelqu'un d'autre. Aujourd'hui, nous allons pouvoir la guérir. Elle se sentira mieux – et elle sera sauvée. »
Macire fait partie des rares cas de maladie du sommeil encore recensés en Guinée, qui est sur le point d’éliminer la maladie.
Maciré apprend qu'elle est atteinte de la maladie du sommeil
Maciré apprend qu'elle est atteinte de la maladie du sommeil
Le 30 janvier 2025, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a validé l’élimination par la Guinée de la maladie en tant que problème de santé publique. Concrètement, cela signifie que le pays compte désormais moins d’un cas pour 10 000 habitants.
C’est la première maladie que le pays peut se féliciter d'avoir éliminée. Cette réussite majeure constitue aussi une étape importante vers l'élimination de la maladie du sommeil à l’échelle de toute l'Afrique. Historiquement, la Guinée était le pays le plus touché par la trypanosomiase humain africaine en Afrique de l'Ouest et recensait le plus grand nombre de cas de la forme gambiense, aux cotés de la République démocratique du Congo (RDC), du Sud-Soudan, de l'Angola et du Tchad.
Le programme guinéen de lutte contre la maladie et ses partenaires nationaux et internationaux ont utilisé tous les outils à leur disposition pour parvenir à cette élimination: des petits pièges bleus destinés aux mouches tsé-tsé et qui jalonnent les côtes de la mangrove guinéenne, jusqu’aux tests de diagnostic rapides qui permettent aux équipes du programme d'identifier rapidement les personnes infectées.
La recherche est au cœur du succès de ce programme d'élimination. La Guinée a également été un pays partenaire des essais cliniques menés par l’initiative Médicaments contre les Maladies Négligées(Drugs for Neglected Diseases initiative, ou DNDi, en anglais), et qui visent à développer des traitements innovants contre la trypanosomiase humaine africaine . Parmi eux figure l'acoziborole, un traitement à dose unique qui pourrait changer la donne et jouer un rôle clé pour éliminer définitivement la maladie.
« On a construit une équipe qui gagne », se félicite le Professeur Mamadou Camara, Coordinateur National pour les maladies tropicales négligées (MTN) en Guinée. Le Professeur Camara a consacré l'essentiel de sa carrière à la lutte contre la maladie du sommeil et a contribué à la mise en place du programme national de lutte contre la maladie en 2002. Depuis, il a établi des collaborations de recherche avec 14 organisations en Afrique et dans le reste du monde.
« Nous sommes parvenus à ce succès grâce à la recherche, à l'innovation et à la persévérance humaine. C'est la communauté internationale qui a gagné. C'est la communauté internationale qui est en train de gagner contre une maladie. »
Le Professeur Mamadou Camara à l'hôpital de Dubréka
Le Professeur Mamadou Camara à l'hôpital de Dubréka
Comment la Guinée est-elle parvenue à ce succès ?
Et surtout, comment peut-elle passer à l’étape suivante et éliminer définitivement la maladie ?
Etape 1
Un ennemi très particulier – la mouche tsé-tsé

Les mangroves assurent la subsistance des centaines de milliers de personnes qui vivent à proximité de ces zones humides. Les canaux qui sillonnent les marais saumâtres constituent des voies de transport essentielles qui relient des communautés isolées qui dépendent de la pêche et des nombreuses richesses de la mangrove.
Néanmoins, ces mêmes canaux constituent aussi de véritables « autoroutes » pour les mouches tsé-tsé, souligne le Dr Bucheton, chercheur à l'IRD. Son institut soutient les programmes de lutte antivectorielle du gouvernement guinéen.
Les mouches tsé-tsé mâles comme femelles peuvent transmettre la maladie. Les habitants sont piqués et infectés lorsqu'ils se déplacent dans les mangroves, en pirogue ou à pied. Pour réduire le nombre de mouches, le Programme utilise des petits pièges bleus, surnommés « drapeaux bleus » par la population locale. Cette couleur attire les mouches, même si les scientifiques ne savent toujours pas exactement pourquoi.
Départ du port de Dubréka pour poser des petits pièges bleus dans les mangroves
Départ du port de Dubréka pour poser des petits pièges bleus dans les mangroves
Mise en place des pièges bleus, juste au-dessus du plus haut niveau atteint par la marée
Mise en place des pièges bleus, juste au-dessus du plus haut niveau atteint par la marée
Lorsqu’elles volent au ras de l'eau le long de la mangrove, les mouches se posent sur ces drapeaux imprégnés d'une dose d’insecticide suffisante pour les tuer en quelques minutes. Le programme national installe ces pièges à des endroits stratégiques, près des lieux où les habitants cultivent, pêchent et accèdent aux mangroves par bateau. Afin de réduire les contacts entre les vecteurs (les mouches tsé-tsé) et les hôtes humains, les équipes déploient les pièges dans les zones où des cas de maladie ont récemment été signalés.
Une mouche tsé-tsé dans un laboratoire
Une mouche tsé-tsé dans un laboratoire
Ces efforts de contrôle sont facilités par le cycle de vie unique de la mouche tsé-tsé.
Contrairement à d'autres insectes qui peuvent libérer des milliers d'œufs, les mouches tsé-tsé ne produisent qu'un nombre très limité de larves au cours de leur vie, qui dure environ trois mois. Les femelles ne fécondent qu'un seul œuf à la fois, et la larve se développe dans une cavité interne de la femelle, appelée utérus, où elle est nourrie par une sécrétion lactée - un phénomène que le Dr Bucheton compare à l'allaitement.
Toujours contrairement à d'autres insectes, les mouches ne pondent pas leurs œufs dans l'eau, où ils risqueraient d'être mangés par des prédateurs. La femelle ne donne naissance qu’à une seule « pupe », qui s'enfouit ensuite dans le sol pour y achever son développement.
Installation d'un piège pyramidal pour capturer des mouches vivantes à des fins de recherche
Installation d'un piège pyramidal pour capturer des mouches vivantes à des fins de recherche
Comme les femelles produisent très peu de larves, il est possible d’éliminer les mouches tsé-tsé dans une zone précise. L'écosystème de la mangrove présente néanmoins des défis particuliers.
« Si nous les posons trop bas, les pièges risquent d'être détruits ou emportés par la marée montante. Il faut donc les placer quand les marées sont les plus hautes », explique le Dr Bucheton. « Mais nous continuons de perdre encore beaucoup de pièges - c'est un énorme problème dans la mangrove. Les drapeaux doivent être constamment remplacés – on les retrouve gorgés d’eau ; ou le vent les détruit. »
Abdoulaye Dansy Camara, parasitologue du Programme de lutte contre la maladie du sommeil, dissèque une mouche tsé-tsé
Abdoulaye Dansy Camara, parasitologue du Programme de lutte contre la maladie du sommeil, dissèque une mouche tsé-tsé
Le village de Kéréba est un parfait exemple de réussite du programme. Bien que la silhouette de la capitale, Conakry, y soit visible au loin, ce minuscule village n’est accessible que par bateau. Kéréba est un village temporaire, dont les habitants récoltent le sel en creusant des tranchées dans la mangrove afin d’y recueillir l'eau de la marée. Ils en extraient ensuite le sel par un processus laborieux qui consiste à brûler du bois.
Depuis quelque temps, les équipes du programme parcourent la mangrove en bateau pour installer des pièges bleus dans la communauté et aux alentours. Ce travail porte ses fruits : depuis deux ans, aucun cas de maladie du sommeil n'a été recensé à Kéréba.
Les activités de contrôle des mouches tsé-tsé sont efficaces.
Producteurs de sel du village de Kéréba
Producteurs de sel du village de Kéréba
Etape 2
Instaurer la confiance

De retour à l'hôpital de Dubréka. La familiarité de Macire avec la maladie témoigne du succès du programme guinéen de sensibilisation des communautés à ce sujet. Le fait que Macrire se soit rendue de son plein gré à l’hôpital est un signe clair de la confiance que ses représentants ont su instaurer avec les communautés locales.
Comme la recherche — des études entomologiques aux essais thérapeutiques — joue un rôle prépondérant dans la lutte contre la maladie du sommeil, il est essentiel que les communautés en comprennent les principes scientifiques et y adhèrent.
Les chercheurs ont découvert à leurs dépens l'importance de cette adhésion.
En 2014, tout comme le Liberia et la Sierra Leone, la Guinée a été confrontée à la pire épidémie d'Ebola jamais enregistrée. A l’issue de deux années de cette terrifiante maladie qui a provoqué plus de 11 000 décès et touché 10% des villages de Guinée, le programme d'élimination de la maladie du sommeil était en plein désarroi.
L'épidémie avait provoqué une perte de confiance massive envers le système de santé, la population accusant souvent ce dernier de leur avoir pris à jamais leurs enfants, parents, amis.
Mamadou Léno raconte comment il a été attaqué — et presque tué — lors de son travail sur Ebola
Mamadou Léno raconte comment il a été attaqué — et presque tué — lors de son travail sur Ebola
« L’épidémie d'Ebola nous a beaucoup appris, car la confiance entre la communauté et les agents de santé s’était effondrée », explique le Professeur Camara. Certains travailleurs médicaux ont été attaqués et gravement blessés, comme par exemple Mamadou Léno (voir l'interview vidéo ci-dessus), membre de l’équipe du Pr. Camara.
Une équipe qui a donc dû reconstruire cette confiance sur les cendres d'Ebola.
Mamadou Léno à Boffa, lors d'une campagne de dépistage
Mamadou Léno à Boffa, lors d'une campagne de dépistage
L’une des solutions a consisté à travailler avec des stations de radio communautaires, comme Radio Rurale à Forécariah, avec laquelle le Programme a collaboré étroitement pour diffuser des messages de sensibilisation et d'information. La radio a diffusé ses premières émissions lors de l'épidémie d'Ebola en 2015. « Ebola nous avait frappé au cœur », se souvient Mamadou Cissé, directeur de la station. « Il nous fallait un canal fiable pour communiquer avec les populations rurales ».
Le Programme envoie désormais ses représentants à Radio Rurale pour annoncer les prochaines campagnes de dépistage de la maladie du sommeil dans une région donnée. Des émissions participatives sont organisées pour informer la population et expliquer les objectifs de l’équipe—par exemple, pourquoi elle prélèvera des échantillons sanguins et ce qu’elle en fera.
Dr Mariame Camara interviewée par Radio Rurale à Forécariah
Dr Mariame Camara interviewée par Radio Rurale à Forécariah
Etape 3
Le porte-à-porte

Le petit village de Douprou est situé au bord d'une des nombreuses rivières qui drainent les mangroves près de la ville de Boffa. Avec Dubréka et Forécariah, Boffa est l'une des trois principales zones touchées par la maladie du sommeil en Guinée.
Aujourd'hui, une équipe du Programme de lutte contre la maladie du sommeil, chargée de la prospection médicale (ou dépistage de masse) se retrouve à Douprou pour tester l'ensemble du village. Bien que situé à faible distance de la route principale qui relie les principales villes côtières de Guinée, Douprou reste relativement isolé, accessible uniquement par un chemin de terre qui devient dangereux pendant la saison des pluies.
Oumou Camara explique pourquoi le dépistage de masse est crucial pour l'élimination de la maladie
Oumou Camara explique pourquoi le dépistage de masse est crucial pour l'élimination de la maladie
Dans un scène familière et déjà vue dans les régions d'Afrique occidentale et centrale où la maladie du sommeil est endémique, l’équipe mobile de dépistage s'installe à l'ombre d'un arbre, au milieu du village. Toute la population est appelée à se rendre auprès de ce laboratoire de campagne pour se faire tester. Cette approche, emblématique de la lutte contre la maladie du sommeil, a été conçue par un médecin militaire français, le Colonel Eugène Jamot, au début du 20ème siècle dans les colonies européennes.
Le dépistage d’aujourd’hui a été organisé à Douprou parce qu'un cas y a été détecté en 2023. L’équipe est revenue vérifier s'il y en a d'autres. En moyenne, deux campagnes de dépistage sont organisées chaque année.
Pour commencer, l’équipe enregistre tous les noms des villageois, qui sont invités à faire la queue. Un échantillon de sang est prélevé par piqure au doigt. L'analyse est effectuée sur place, à l’aide d’un équipement de laboratoire installé sur de vieilles tables en bois. Si le test est positif, la personne reste un peu plus longtemps afin qu’un deuxième échantillon de sang soit prélevé dans une veine, pour un examen plus approfondi et la recherche d'éventuels symptômes.
Campagne de dépistage à Boffa
Campagne de dépistage à Boffa
Ce sang est placé dans une centrifugeuse amenée sur place et est dilué afin de réaliser un examen parasitologique. Les patients dont les résultats sont positifs à ce deuxième test sont alors orientés vers un centre de traitement. D'innombrables vies ont ainsi été sauvées dans les pays où la maladie du sommeil est endémique ; les nouveaux tests de diagnostic rapides qui donnent des résultats en 15 minutes et permettent de détecter la maladie du sommeil sur place ont ainsi joué un rôle crucial.
« Aux alentours de 2012-2013, nous avions plus de 50 cas dans cette région », explique Oumou Camara, Responsable du Diagnostic au sein du Programme. « Aujourd'hui, nous recherchons les derniers cas. En 2024, nous n'en avons recensé aucun à Boffa. Nous sommes vraiment sur la bonne voie pour éliminer la maladie. »
Une fois l'équipe mobile partie, des entomologistes du Programme viendront à leur tour installer des pièges bleus autour du village, et retraceront le parcours quotidien du patient identifié plus tôt dans la journée afin de s'assurer que les mouches qui vivent dans les zones où il a probablement attrapé la maladie ne puissent pas la transmettre à d'autres.
Test de diagnostic rapide sur un cas suspect. Ces petits dispositifs en plastique permettent d'obtenir des résultats en 15 minutes.
Test de diagnostic rapide sur un cas suspect. Ces petits dispositifs en plastique permettent d'obtenir des résultats en 15 minutes.
Collaborations en matière de recherche
Au cœur de Conakry, l’immense capitale guinéenne, un centre de recherche de pointe pilote une autre collaboration scientifique, qui apporte un éclairage précieux sur les tests de dépistage de la maladie du sommeil, en Guinée comme sur l’ensemble du continent.
L’ultramoderne laboratoire Pasteur est situé sur le campus de l'Université Gamal Abdel Nasser de Conakry. Ce laboratoire fait partie de l'Institut Pasteur de Guinée (IPG), qui a été fondé à la suite de l'épidémie d'Ebola en 2015. Membre du prestigieux réseau à but non lucratif de l’Institut Pasteur, l’IPG est un partenaire clé du Programme national de lutte contre la maladie du sommeil de Guinée.
Le Dr Bucheton parle de l'importance du projet Trypskin
Le Dr Bucheton parle de l'importance du projet Trypskin
L'Institut Pasteur a dirigé des études importantes menés chez des patients asymptomatiques, c'est-à-dire des patients atteints de la maladie du sommeil mais ne présentant aucun symptôme. Le projet Trypskin, mené par l'Institut Pasteur en collaboration avec DNDi et l'IRD, analyse des échantillons de peau pour déterminer si les parasites responsables de la maladie, les trypanosomes, peuvent persister dans la peau même siles tests sanguins n’ont pas réussi à les détecter, en particulier chez les patients asymptomatiques.
Aissata Camara, chercheuse postdoctorante et parasitologue à l'Institut Pasteur, et Boiro Salimatou, biologiste, étudient des échantillons de peau à l'Institut Pasteur de Conakry
Aissata Camara, chercheuse postdoctorante et parasitologue à l'Institut Pasteur, et Boiro Salimatou, biologiste, étudient des échantillons de peau à l'Institut Pasteur de Conakry
« Nous avons constaté que comme certains patients ne présentaient pas de parasites dans le sang, ils n'étaient pas traités », explique le Dr Bucheton. « Cette étude devrait nous aider à mieux identifier les personnes infectées, et à avoir ainsi un impact significatif sur la transmission de la maladie du sommeil. Cela nous permettra d'atteindre l'objectif de zéro cas. »
Ibrahima et son père Issiaga, dans le village de Tady, à la frontière de la Sierra Leone. Ibrahima a contracté la maladie du sommeil après avoir accompagné son père dans de nombreuses excursions dans la mangrove. Pendant des années, Issiaga a cherché à savoir de quoi souffrait son fils, jusqu'à ce que l’équipe du Programme de lutte contre la maladie du sommeil se rende dans le village en 2021. La maladie du sommeil a été diagnostiquée et Ibrahima a reçu un traitement. Aujourd'hui, il est en bonne santé et sa famille nourrit de grands espoirs pour lui.
Ibrahima et son père Issiaga, dans le village de Tady, à la frontière de la Sierra Leone. Ibrahima a contracté la maladie du sommeil après avoir accompagné son père dans de nombreuses excursions dans la mangrove. Pendant des années, Issiaga a cherché à savoir de quoi souffrait son fils, jusqu'à ce que l’équipe du Programme de lutte contre la maladie du sommeil se rende dans le village en 2021. La maladie du sommeil a été diagnostiquée et Ibrahima a reçu un traitement. Aujourd'hui, il est en bonne santé et sa famille nourrit de grands espoirs pour lui.
Etape 4
L'innovation pour éliminer la maladie,
en Guinée et dans toute l'Afrique

L'annonce par la Guinée de l'élimination de la maladie du sommeil en tant que problème de santé publique est une avancée extraordinaire. Néanmoins, comme toute personne travaillant sur cette maladie à travers le monde ne le sait que trop bien, ce type de victoire ne résiste pas toujours à l'épreuve du temps.
Si la validation de l'OMS vient couronner des décennies de persévérance et d'efforts acharnés, l’existence de patients comme Macire montre que le travail n'est pas encore terminé.
Comme partout en Afrique, la maladie du sommeil est une maladie cyclique, qui réapparaît souvent à la suite de bouleversements politiques ou sociaux. En Guinée, on recensait des milliers de cas dans les années 1960, mais les programmes de lutte ont permis une nette régression. Le programme dirigé par le Professeur Camara avait permis de contenir une recrudescence dans les années 1990, avant que l'épidémie d'Ebola ne vienne tout bouleverser.
La validation de l'élimination par l'OMS en janvier 2025 témoigne du rôle déterminant qu’ont joué la science, la recherche et les partenariats dans la réduction du nombre de cas. Néanmoins, des innovations supplémentaires seront nécessaires pour franchir la dernière marche vers une élimination durable, et les traitements mis au point par DNDi joueront un rôle essentiel pour atteindre cette étape critique et difficile.
Fresque peinte dans l'entrée du bâtiment dédié à la maladie du sommeil de l’hôpital de Dubreka
Fresque peinte dans l'entrée du bâtiment dédié à la maladie du sommeil de l’hôpital de Dubreka
L'histoire du traitement de la maladie du sommeil est bien connue de la communauté des maladies tropicales. Les traitements toxiques, inefficaces et souvent mortels étaient la norme jusqu'à l’arrivée récente de traitements sûrs et efficaces développés et mis à disposition par DNDi. Aujourd’hui, ces médicaments sauvent des vies en Guinée.
Le plus révolutionnaire de ces traitements est l'acoziborole, un médicament à dose unique contre la maladie du sommeil. Ce médicament est considéré par de nombreux experts comme un outil indispensable pour une élimination durable, car il permettra aux équipes de traiter rapidement les petits foyers isolés de la maladie. Les résultats d'une étude en Guinée et en RDC publiés en 2022 ont mis en évidence des taux de réussite allant jusqu'à 95 % pour ce traitement à dose unique. Parallèlement, une autre étude clinique est en cours en Guinée et en RDC pour évaluer l'acoziborole chez l’enfant.
« Nous attendons avec impatience l’arrivée de l'acoziborole. Les études ont montré que les patients se remettent très rapidement de la maladie du sommeil après la prise d’un seul comprimé, ce qui étonne les médecins », souligne la Dr Mariame Camara, investigatrice de DNDi au sein du Programme national. La Dr Camara a largement contribué aux les essais cliniques de DNDi en Guinée et s’appuie sur des longues années d’expérience dans le traitement des patients atteints de la maladie.
La Dr Mariame Camara examine un cas suspect à Boffa
La Dr Mariame Camara examine un cas suspect à Boffa
Essais cliniques panafricains
DNDi travaille depuis 2016 avec des partenaires en Guinée, où les essais cliniques ont commencé en 2018.
Le « Centre Trypano » de Dubréka, site principal des essais cliniques de DNDi sur la maladie du sommeil dans le pays, a recruté environ 300 participants. Pour soutenir la recherche, DNDi a rénové les installations de l'hôpital, en s'appuyant sur sa vaste expérience en matière d'études cliniques en RDC.
« Tous nos sites en Guinée ont été modernisés par DNDi sur le modèle de ce que nous avons réalisé en RDC : rénovation des laboratoires, des chambres des patients, et des bureaux, et installation d'une connexion Internet », explique le Dr Wilfried. « Il y a eu énormément d’ échanges entre le site de Dubréka et celui de Masi Manimba qui est le site principal de DNDi pour la maladie du sommeil en RDC. »
La Dr Camara et le Dr Wilfried Mutombo à l'hôpital de Dubréka
La Dr Camara et le Dr Wilfried Mutombo à l'hôpital de Dubréka
Pour la plupart des chercheurs guinéens, les études de DNDi étaient les premiers essais cliniques auxquels ils participaient. « Ces essais ont joué un rôle important dans le renforcement des capacités de traitement du pays », souligne la Dr Camara.
Un médicament révolutionnaire
A bien des égards, l'acoziborole sera la dernière pièce du puzzle de l'élimination, et viendra compléter la lutte antivectorielle, la sensibilisation des communautés et le diagnostic devenu possible au niveau des villages. Le Dr Camara attend avec impatience le jour où le diagnostic et le traitement pourront être administrés conjointement sur place, au niveau des villages. « Il suffit qu’un test de diagnostic rapide effectué lors d'un dépistage communautaire soit positif, pour que nous puissions alors administrer directement au patient une dose unique d'acoziborole. »
DNDi travaille avec le géant pharmaceutique Sanofi pour l’enregistrement de l'acoziborole auprès des autorités de régulation des médicaments. Les équipes espèrent que le médicament pourra être mis à la disposition des agents de santé en Guinée, en RDC et dans d'autres pays où la maladie est endémique d'ici 2027, afin que les pays africains puissent unir leurs efforts et en finir avec cette menace.
« L'acoziborole est une révolution. Il peut être administré très facilement à un grand nombre de patients, en particulier ceux qui sont parvenus à un stade avancé de la maladie. Ce médicament nous aidera à franchir une nouvelle étape dans l'élimination complète de la maladie du sommeil en Guinée. »
Dr Mariame Camara au port de Dubréka
Dr Mariame Camara au port de Dubréka
Après son diagnostic à l'hôpital de Dubréka, Macire retourne dans sa chambre à l'autre bout de l'hôpital. Alors que la pluie continue de tomber, elle étend solennellement un tapis de prière et commence à prier.
« Elle prie », explique le Dr Mamadou Baiolo Diallo, l'un des médecins spécialistes de la maladie du sommeil à l'hôpital de Dubréka. « Non pas parce qu'elle a peur, mais parce qu'elle est heureuse. Elle va recevoir un traitement auquel elle fait confiance. Elle sait qu’elle va guérir. Sa vie sera sauvée. »
Maciré prie dans sa chambre d'hôpital
Maciré prie dans sa chambre d'hôpital
Un reportage d'Ilan Moss et James Arkinstall
L'initiative Médicaments contre les Maladies Négligées (DNDi en anglais) est une organisation internationale de recherche et developpement à but non-lucratif qui découvre, développe et met à disposition des traitements sûrs, efficaces et bon marché pour les patients négligés.
Photos: Brent Stirton/Getty Images pour DNDi
