« S'occuper d’un enfant avec le VIH, c’est un lourd fardeau. »

Aider les enfants vivant avec le VIH en Afrique de l'Ouest, une population particulièrement négligée

Albert Royer Hospital in Senegal

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A l’ombre du grand manguier du pavillon des mères de l’Hôpital National d’Enfants Albert Royer à Dakar, de jeunes enfants jouent sous le regard de mères ou de grand-mères qui attendent patiemment, assises sur un banc. Dans ce havre d’écoute et de soin au cœur de l’effervescente capitale sénégalaise, on traite, avec des trésors d’attention et de discrétion, les enfants vivant avec le VIH. 

« C’est une maladie secrète », glisse une grand-mère au sourire lumineux, venue avec son petit-fils âgé de 9 ans et dont les deux parents ont été emportés par la maladie. « S’occuper d’un enfant avec le VIH, c’est un lourd fardeau. Un secret à garder. » 

Mothers’ Ward at Albert Royer Hospital

« Au Sénégal, les personnes vivant avec le VIH font l’objet de violentes discriminations. Les mamans se cachent. Elles ne veulent pas qu’on les voit entrer dans ce pavillon. Elles ont peur d’aller à la pharmacie. Elles refusent de se faire suivre dans leur localité de résidence. La conséquence, c’est que beaucoup d’enfants avec la maladie ne sont pas dépistés. » 
Dr Ndièye Fatou Diallo, pédiatre bénévole à Albert Royer.

Cette stigmatisation a des répercussions mortelles. Les enfants vivant avec le VIH sont une population déjà très négligée, et en Afrique de l’Ouest la situation est encore plus criante. Seulement 54% des enfants vivant avec le VIH en Afrique bénéficient d’un traitement antirétroviral, alors que 74% des adultes sont sous traitement ; en Afrique centrale et de l’Ouest, ce chiffre chute à 35%. En l’absence de traitement, la moitié de ces enfants meurent avant d’atteindre l’âge de deux ans. Dans le monde, un enfant meurt du VIH toutes les 5 minutes.

Dr Ndièye Fatou Diallo, a volunteer paediatrician at Albert Royer

Dr Ndièye Fatou Diallo, pédiatre à l'hôpital Albert Royer

Dr Ndièye Fatou Diallo, pédiatre à l'hôpital Albert Royer

Des difficultés que les femmes de l’association ABOYA, dans le quartier populaire de Guédiawaye quelques kilomètres plus loin, connaissent bien.

« Les femmes séropositives au Sénégal sont victimes de violences physiques et verbales, et d’une discrimination qui empêche même l’accès aux soins », raconte sa directrice, qui a demandé à rester anonyme. 

ABOYA aide au quotidien les femmes vivant avec le VIH. Ses membres ont demandé de parler de façon anonyme lors d’une rencontre avec une délégation de DNDi dans leurs locaux – un grand appartement où se croisent nombre de mères et d’enfants, et situé dans un lieu qu’elles préfèrent tenir secret.

« La majorité des femmes vivant avec le VIH ont peur de partager leur statut parce qu’elles ont peur de se faire exclure de leur maison, de se faire répudier par leur mari. Même au niveau des hôpitaux, nous avons beaucoup de problèmes avec certaines sage-femmes qui refusent de s’occuper d’elles et qui ont peur de les toucher. »
Une membre d'Aboya

Les membres d’ABOYA jouent un rôle crucial d’accompagnement des mères et de leurs enfants. Elles leur donnent leurs médicaments quand les femmes ne peuvent pas les chercher elles-mêmes. Elles les emmènent à l’hôpital si besoin. Elles les aident à prévenir la transmission du VIH de la mère à l'enfant à travers l’administration de médicaments antirétroviraux pendant la grossesse. Elles s’assurent aussi que les enfants nés avec le VIH ont bien accès à un traitement et sont suivis par des professionnels de santé. 

L’association mène aussi des activités génératrices de revenus, telles que la production d’eau de Javel pour des hôpitaux de la capitale. « C’est nécessaire, parce que le VIH rend pauvre. Les femmes qui ont perdu leur mari, ou ont été rejetées, répudiées ou abandonnées se retrouvent sans revenus », explique la responsable. 

Une femme d'ABOYA dans l'atelier de production d'eau de Javel de l'association

Une femme d'ABOYA dans l'atelier de production d'eau de Javel de l'association

Bouteilles d’eau de Javel produite par les femmes d’ABOYA

Bouteilles d’eau de Javel produite par les femmes d’ABOYA

La pédiatre Ndièye Fatou Diallo, à l’hôpital Albert Royer, témoigne de l’impact de ces drames quotidiens et de ces difficultés sur le moral de sa petite équipe dévouée et soudée de médecins, d’infirmières et de médiatrices de santé.  

« Il y a des jours, c’est tellement dur, quand on rentre chez nous, on n'arrive pas à manger. On ne peut pas. Heureusement qu’on a une très bonne équipe ici ! » 
Dr Fatou Diallo
paediatricians, nurses, and counsellors of the paediatric HIV team

La Dr Fatou Diallo entourée de l’équipe pédiatrique de l’hôpital Albert Royer

La Dr Fatou Diallo entourée de l’équipe pédiatrique de l’hôpital Albert Royer

Les premières consultations d’enfants avec le VIH à Albert Royer ont débuté en 2000. L’équipe s’occupe du suivi médical des enfants - notamment le contrôle de leur charge viral - et assure un accompagnement psycho-social des familles.

« La situation s’est améliorée depuis 20 ans, mais nous avons encore beaucoup de défis à relever, comme le dépistage des fratries et l’amélioration de la prise en charge », explique la pédiatre.

Même quand les traitements antiviraux sont disponibles et gratuits, leur accès reste un problème, particulièrement dans les zones rurales, souligne la directrice d’ABOYA.

« Dans les villages, la situation est extrêmement difficile. Certaines mères vivent dans la montagne, d’autre sur des îles, où la distance entre la maison et les centres de soins complique les bilans de suivi, la prise en charge des infections opportunistes, et bien sûr l’obtention des médicaments. »

Ces problèmes d'accès et la forte stigmatisation autour de la maladie au Sénégal ne font qu'aggraver la situation de négligence à laquelle les enfants vivant avec le VIH ont toujours été confrontés. Le développement de traitements spécifiques, adaptés aux besoins des enfants, n'a jamais été une priorité d’une recherche pharmaceutique traditionnelle axée sur le profit. Notamment parce que la transmission du VIH de la mère à l'enfant est bien maîtrisée dans les pays à revenus élevés, où peu d'enfants contractent la maladie. 

C'est pourquoi DNDi, avec le soutien financier de l’Agence Française du Développement (AFD), a lancé en 2020 le programme REACH (Revolutionizing Access to Quadrimune for young Children with HIV) dans six pays africains : Burkina Faso, Sénégal, Cameroun, Kenya, Ouganda et Tanzanie. Son objectif est de faciliter l’accès aux traitements pédiatriques et d’améliorer la prévention de la transmission mère-enfant.

Pays participant au programme REACH

Pays participant au programme REACH

Au Burkina, Sénégal et Cameroun, DNDi travaille en partenariat avec l’association EVA, un réseau régional de pédiatres basé à Dakar qui vise à améliorer la couverture et la prise en charge des enfants vivant avec le VIH en Afrique francophone.   

Siège du Réseau EVA à Dakar

Laboratoire de référence à l'hôpital Abass Ndao à Dakar, où les charges virales des enfants sont mesurées. 

Laboratoire de référence à l'hôpital Abass Ndao à Dakar, où les charges virales des enfants sont mesurées. 

Dr Gérès V. Ahognon, directeur exécutif du Réseau EVA à Dakar, Sénégal 

Dr Gérès V. Ahognon, directeur exécutif du Réseau EVA à Dakar, Sénégal 

DNDi et EVA ont ainsi formé des 70 formateurs et 180 soignants à l’utilisation de formulations pédiatriques récemment mises sur le marché. Ces professionnels de santé iront ensuite former leurs pairs dans le reste du pays.

Le programme, qui s’est achevé en mars 2023, inclut aussi un appui au transport d’échantillons vers le laboratoire de référence qui mesure régulièrement la charge virale des patients - nécessaire pour surveiller et adapter le traitement.  

DNDi a aussi reçu le soutien de Principauté de Monaco pour renforcer les capacités du personnel de santé travaillant avec enfants et adolescents vivant avec le VIH sur 21 sites de la région de Dakar. Des études de cas, des webinaires et des formations sont proposées à ces professionnels pour qu’ils puissent mieux aider ces enfants.  

« Tout le monde tend à oublier le VIH, surtout pédiatrique. Les enjeux sont pourtant énormes », regrette le Dr Gérès Ahognon, médecin et directeur exécutif du réseau EVA. Comment expliquer ce désintérêt ? « Peut-être parce que le nombre d’enfants vivant avec le VIH comparativement plus faible ici que dans d’autres pays. »  

« Au Sénégal, on estime que 4 000 enfants vivent avec le VIH. Mais seulement 40% d’entre eux sont dépistés et sous traitement. Même si leur nombre n’est pas aussi élevé qu’ailleurs, nous avons tout intérêt à mieux les prendre en charge. Les mères qui se savent séropositives sont souvent réticentes à faire du dépistage en raison de la stigmatisation très forte de la maladie. En dépit des efforts du gouvernement et des partenaires, beaucoup d’enfants passent à travers les mailles du filet des programmes de prévention de la transmission mère-enfant. »  
Dr Gérès Ahognon

Le programme REACH inclut aussi le soutien à des groupes de discussions. Ces groupes de paroles permettent aux mères d’échanger conseils et témoignages en toute confidence, de lâcher prise, d’exprimer ce qu’elles ne peuvent pas faire ailleurs, et d’être mieux informées au sujet de la maladie.

A l’hôpital Albert Royer, ces groupes se retrouvent deux fois par semaine. A chaque réunion, un thème est lancé.

« A quelle heure de la journée donnez-vous le médicament à votre enfant ? », demande Astou Diop Dieye, une médiatrice de santé qui est un pilier du pavillon des mères. Les mères répondent, questions et les conseils fusent. Astou fait une synthèse, puis relance : « Le médicament, tue-t-il ou endort-il seulement le virus ? » Des larmes jaillissent, les mamans en pleurs sont réconfortées. On rit beaucoup aussi.

« Ce groupe, ça facilite tout. Les mamans sont à l’écoute, on peut s’appeler ensuite », témoigne une mère, ressortissante d’un pays voisin et dont le fils de 12 ans a été dépisté il y a 10 ans.

« Son père est décédé, et quand j’ai appris mon statut j’ai pleuré comme pas possible. J’étais seule, sans famille, dans un pays étranger. J’ai failli devenir folle. Ici, j’ai trouvé du soutien et la force de continuer. » 
La maman d’un enfant de 12 ans vivant avec le VIH

Une grand-mère en boubou rouge qui s’occupe de son petit-fils orphelin explique que personne d’autre dans la famille ne connaît le statut de l’enfant.

« La seule personne que j’ai informée, c’est son frère qui a 20 ans. Je l’ai choisi parce qu’il est très responsable. Je lui ai donné une partie des médicaments en lui expliquant qu’il ne fallait pas que l’enfant les prenne devant la famille. Je lui ai dit, “Si je meurs, prends soin de ton petit frère. Personne d’autre que toi n’est au courant.” » 

La question de la nécessité de formulations pédiatriques est aussi évoquée au cours de la réunion. « Les formulations pour adultes ne sont pas adaptées » ; « les comprimés sont trop gros » ; « les comprimés sont trop amers, le goût reste dans la bouche jusqu’au lendemain » ; « on aimerait des médicaments discrets, si possible... » 

La pédiatre Ndèye Fatou Diallo explique pourquoi l’absence, jusqu’à récemment, de formulations adaptées aux besoins des enfants pose d’immenses problèmes pour l’observance du traitement. « La formulation lopinavir-ritonavir sous forme de sirop doit se conserver au frigo; et son goût est tellement amer que les enfants la recrachent. Les comprimés pour adultes sont énormes, obligeant les mamans à les couper en petits morceaux, qui sont compliqués à doser. Les formes pédiatriques facilitent donc l’observance. Elles permettent aussi de donner le traitement de façon plus précoce. Les formes pédiatriques, c’est un bonheur ! » 

Astou Diop Dieye, counsellor at Albert Royer Hospital

Astou Diop Dieye, médiatrice de santé à l'hôpital Albert Royer

Astou Diop Dieye, médiatrice de santé à l'hôpital Albert Royer

Matériel éducatif utilisé par les médiatrices de santé de l’hôpital Albert Royer

Matériel éducatif utilisé par les médiatrices de santé de l’hôpital Albert Royer

Astou Diop Dieye, counsellor at Albert Royer Hospital

Pendant des décennies, les enfants vivant avec le VIH ont représenté une population particulièrement négligée : il n’existait aucune formulation pédiatrique et la recherche pharmaceutique traditionnelle avait peu d’intérêt financier à développer des traitements à leur intention. Une absence qui explique en partie pourquoi les enfants représentent 15% du total des décès dus au VIH, alors que seulement 4% de l’ensemble des personnes vivant avec le VIH sont des enfants. 

Mais la donne a changé ces dernières années, avec l'introduction de nouvelles formulations pédatriques – constituant ce qui semble être une avancée thérapeutique majeure et longtemps attendue pour les enfants vivant avec le VIH. Tout d'abord est arrivé le dolutegravir pédiatrique, qui est désormais le traitement de première intention recommandé par l'OMS. DNDi et l’entreprise pharmaceutique indienne Cipla ont également développé le « 4-en-1 » (aussi appelé Quadrimune), une combinaison de quatre antirétroviraux. Le 4-en-1 a un goût de fraise et se présente sous forme de gélules contenant une poudre facile à mélanger à de la nourriture. Il a déjà obtenu des autorisations de mises sur le marché en Afrique du Sud, au Mali, en Ouganda et au Kenya. 

Une avancée saluée par le Dr Gérès Ahognon :

« Quand vous avez des comprimés qu’il faut casser en petits morceaux et que les enfants recrachent, c’est compliqué pour les mères, surtout quand il y a le poids psychologique et qu’il faut se cacher ! Le 4-en-1 c’est soluble, on peut mettre dans une bouillie et le donner à l’enfant. Avec ces nouvelles formulations pédiatriques, on espère que la situation s'améliorera.»  

Photos de Mamadou Diop-DNDi et Xavier Vahed-DNDi 

Aïda Diagne, assistante de direction à l'hôpital Albert Royer

Aïda Diagne, assistante de direction à l'hôpital Albert Royer

DNDi

L'initiative Médicaments contre les Maladies Négligées (Drugs for Neglected Diseases initiative, ou DNDi) est une organisation de recherche et dévelopement médical à but non-lucratif. DNDi découvre, développe et met à disposition des patients négligés des nouveaux traitements conçus pour être sûrs, efficaces, simples à administrer et abordables.